Vendredi 17 mars, Dominique Masson, historien châtillonnais, a présenté une passionnante conférence, sous l'égide de la Société Archéologique et historique du Châtillonnais (SAHC), sur les relations que saint Bernard de Clairvaux eut avec notre ville, Châtillon-sur-Seine.
Le Président de la SAHC,Dominique Sanson, a présenté le conférencier au public venu très nombreux.
Dominique Masson a conté l'enfance et la jeunesse de saint Bernard, en l'accompagnant de superbes illustrations.
Son texte dépassant les limites du nombre de caractères autorisés par le blog, cette conférence paraîtra en plusieurs épisodes.
Partie 1 :
La ville de Châtillon a beaucoup compté pour saint Bernard puisqu’il y a passé sa jeunesse ; ces années furent importantes pour lui, elles furent des années de formation ; et, plus tard, il continuera à garder un œil sur cette ville.
L’inconvénient, c’est que les périodes où le futur saint Bernard a vécu à Châtillon sont difficiles à cerner exactement :
D'’une part, il y a des problèmes de dates ; les historiens ne sont pas toujours d’accord et on est souvent dans l’approximation.
(« Incipit prologus Willelmi abbatis in vita sancti Bernardi clarevallensis abbatis ») ; 1180 ; Dijon.
D’autre part, Bernard n’a jamais parlé de sa jeunesse.
On ne connait la jeunesse de Bernard que par les « fragmenta Gaufridi » (les « fragments ») rédigés par Geoffroy d’Auxerre (1145/1146) et par la « vita prima sancti Bernardi », rédigée par trois de ses proches, à partir de 1145 : Guillaume de Saint-Thierry, Arnauld de Bonneval et Geoffroy d'Auxerre).
Revenons rapidement en arrière.
L’aventure cistercienne avait commencé en 1075, avec la fondation de l’abbaye de Molesme, par saint Robert.
Mais, comme une partie des moines refusait de pratiquer avec la plus grande austérité la règle de saint Benoît, Robert, avec Etienne Harding et une vingtaine de moines, partit au sud de Dijon pour y fonder un nouveau monastère (le« novum monestarium »), le 21 mars 1098 : lequel prendra ultérieurement le nom de Cîteaux.
Le trajet Molesme-Cîteaux :
LES PARENTS DE SAINT BERNARD
Son père c’est Tescelin II de Fontaine, dit Tescelin le Roux ou Tescelin le Saur (parce qu’il avait une chevelure blonde tirant sur le roux).
lignée Tescelin :
C’est quelqu’un : de pieux, de juste, c’est quelqu’un qui est issu d’une famille noble :
- Par son père, il est apparenté aux seigneurs de La Ferté (sur Aube)- par sa mère, il pouvait être apparenté aux seigneurs d’Aigremont, de Saulx et de Grancey.
Et lui-même est un seigneur châtelain ; mais, il n’apparaît pas comme un gros propriétaire foncier. Le château lui-même de Fontaine est un petit château, muni de défenses assez rudimentaires.
Surtout, Tescelin est un vassal du duc de Bourgogne. En tant que tel, il doit assurer régulièrement la garde au château de Châtillon. C’est un « milites castri », c’est-à-dire qu’il fait partie d’un groupe de chevaliers attaché à la défense de ce château.
Le château de Châtillon au XVIIème siècle :
Ce château de Châtillon n’est pas un grand château par sa surface (4 tours + un donjon), mais il a un grand intérêt stratégique, car il commande la percée de la Seine entre le comté de Champagne et le duché de Bourgogne.
Lors de ses gardes, Tescelin n’habite pas au château même, mais il a une maison proche où il habite le temps de sa garde.
Tescelin est un homme sage, qui a la confiance de son seigneur ; c’est pourquoi il compte parmi les proches des ducs de Bourgogne.
De sorte qu’il figure souvent comme témoin dans leurs actes.
Par exemple, il est parmi les témoins de la charte de fondation de Molesme, donc en présence de Robert de Molesme (vers 1075/1076).
En bref, c’est le type achevé du chevalier chrétien.
Sa mère, c’est Aleth de Montbard (Alette, diminutif de Alix ; dériverait d’un mot allemand signifiant Adélaïde)
Elle est de famille plus importante que la famille de Tescelin, puisque son père est le premier seigneur de Montbard ; c’est Bernard Ier de Montbard (1040-1103), (qui est apparenté aux familles de Bar-sur-Seine ; Tonnerre ; La Roche-Vanneau)
La lignée d'Aleth :
Par sa mère, Humberge, elle est apparentée aux seigneurs de Couches-les-Mines ; Ramerupt ; Baudement.
La famille du seigneur de Montbard se compose de 5 enfants :
Mille, qui sera moine à Cîteaux ; André, qui sera l’un des neuf fondateurs de l'ordre du Temple ; Renard, qui sera seigneur de Montbard ; et Gaudry de Touillon, qui suivra Bernard à Clairvaux.
Et il y a Aleth. Elle passe son enfance au château de Montbard. Son père la destinait au cloitre et elle fut élevée dans cette intention. Mais, lorsqu’elle eut 15 ans, Tescelin la demanda en mariage.
Aleth et Tescelin –vitrail de Montbard, église Sainte Urse –XIXe siècle :
Les enfants du couple-vitrail de Montbard
Aleth eut sept enfants :
Guy, Gérard, Bernard, Hombeline, André, Barthélémy et Nivard : soit 6 fils et une fille.
Non seulement Aleth se dévouait pour des œuvres charitables mais, pour l’éducation de ses enfants, elle ne voulut pas les confier à des nourrices, mais les allaita elle-même et elle les éleva dans la discipline ; tant qu’ils restèrent sous sa main, elle leur apprit à se contenter de vêtements simples et de nourriture solide, mais grossière :
Geoffroy d’Auxerre dira :
« Agissant manifestement sous l’inspiration divine, elle ne préparait pas ses enfants pour le siècle, mais pour la vie religieuse, prenant soin qu’ils fusent élevés sans faiblesse et sans bien-être, de sorte qu’ils devinssent robustes, nullement efféminés par l’usage des choses qui plaisent ».
Avant même que Bernard ne naisse, Aleth eut un songe ; elle vit un chien taché de roux qui poussait des aboiements formidables. Grandement épouvantée, elle alla voir un saint ermite, qui la rassura et lui prédit la glorieuse destinée de son futur fils :
« Ne craignez rien, car vous serez la mère d’un excellent petit chien ; celui qui naîtra de vous sera le meilleur des prédicateurs, il ne ressemblera pas à ces chiens muets qui ne savent pas aboyer » (Geoffroy d’Auxerre).
Aleth est donc une châtelaine exemplaire et une mère exemplaire
Le résultat pour Bernard :
- d’un côté, la figure de la mère sera omniprésente ; Bernard présentera sa mère comme l’absolu d’un possible idéal féminin.
- de l’autre, bien qu’il ne soit pas élevé pour le maniement des armes, Bernard sera pénétré du sens militaire et pourra acquérir le don du commandement et appliquera la discipline militaire aux règles monastiques.
Et, de plus, le maillage lignager comptera beaucoup : soutien.
Son maillage lignager (entre Bourgogne, Champagne, évêché) :
L’ENFANCE DE BERNARD DE FONTAINE
Il est né au château de Fontaine, en 1090/1091, il aurait été élevé, selon Geoffroy d’Auxerre, avec plus de tendresse que ses frères.
Il resta à Fontaine où il fut élevé par sa mère, jusque vers l’âge de 5 ou 8 ans (les historiens se séparent sur cette question).
Puis Aleth (vers 1095-ou vers 1098 ???), décida de transférer la famille de Fontaine à Châtillon, pour permettre à Bernard de fréquenter l’école des chanoines, afin de le préparer à une carrière ecclésiastique ; l’avantage, c’était que cette école était proche de la maison de Tescelin et Bernard pouvait ainsi fréquenter l’école et vivre en famille.
Peut-être vers 5 ans, il aurait été confié aux chanoines de Saint Vorles pour apprendre les premiers rudiments des Lettres, c’est-à-dire apprendre à déchiffrer les psaumes, les réciter par cœur puis les comprendre, s’exercer à les lire à haute voix et les chanter.
Le psautier, à l’époque, c’était le livre de lecture élémentaire depuis l’époque mérovingienne ; mais il était écrit en latin, langue qui n’était plus la langue de tous les jours, mais un instrument de communication « culturelle », avec une grammaire rigoureuse.
On relève que, plus tard, les écrits de Bernard montrent une grande habileté dans le maniement de la langue latine.
Puis, vers l’âge de 7 ans, le jeune Bernard va approfondir ses connaissances.
(Ou alors, il ne vint aux écoles des chanoines que vers 7/8 ans).
Qui étaient ces chanoines ?
En Bourgogne, Langres, le siège d’un évêché, était, à la fin du XIe siècle, un grand foyer d’études. Outre Langres, il y avait des écoles à Dijon, Châlon, Tournus, Mâcon, Cluny et à Châtillon
L’évêque de Langres Brun de Roucy (980-1016), avait reconstruit l’église Saint Vorles de Châtillon-sur-Seine et il y avait institué là un groupe de chanoines, séculiers ; ils avaient là leur habitation et leur cloitre dans la basse-cour du château et c’est là qu’ils enseignaient.
Cloitre des chanoines près du château, tableau du XVIème siècle :
On y enseignait probablement que le trivium, c’est-à-dire les trois disciplines littéraires fondamentales ; la grammaire (l’art de bien écrire), la rhétorique (l’art de bien parler) et la dialectique (l’art de bien raisonner) – (mais, pour certains auteurs, Bernard n’aurait étudié que grammaire et rhétorique).
Bernard n’étudia pas les quatre disciplines scientifiques réunies dans le quadrivium : arithmétique, géométrie, musique, astronomie (mais il a pu quand même en avoir quelques notions).
(La suite de cette magnifique conférence paraîtra dans trois autres articles, édités prochainement)