"Saint Bernard et Châtillon" une conférence de Dominique Masson (partie 2)
C'est quand saint Bernard eut environ 7/8 ans, une veille de Noël 1097 ou 1098, qu’il reçut une faveur insigne : c’est la vision de Noël.
Vision de Noël, dessin de Thomas Fontana, cuivre d'Antoine Tempesta (1653) :
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Selon Guillaume de Saint Thierry,
« Cette vision arriva dans cette nuit si célèbre de la naissance du sauveur du monde … Car pendant qu’on tardait, durant quelque temps, à célébrer le service de la nuit, il advint que Bernard, qui était assis et qui attendait comme les autres, penchant la tête, s’endormit un peu. Dans le même instant, l’Enfant Jésus se présenta à lui comme à son enfant et lui révéla sa sainte naissance …..
Son esprit fut persuadé, comme il le croit et le confesse encore maintenant, que cette heure était celle de la naissance de notre Seigneur ».
Par contre, dans les « Fragments » de Geoffroy d’Auxerre, ce dernier rapporte que, la veille de Noël, alors que le jeune enfant dormait dans la maison de son père, il lui sembla voir la Vierge enfanter. Or, on sonnait pour les Vigiles ; sa mère le réveilla, le revêtit des habits de cérémonie et l’emmena à l’église avec elle, comme elle en avait l’habitude.
Donc, pour Geoffroy d’Auxerre, la vision a eu lieu dans la maison paternelle. Par contre, pour Guillaume de Saint Thierry, la vision aurait eu lieu devant la statue de la Vierge, dans l’église saint-Vorles.
Mais, dans ces récits, il n’est question que de la Nativité, de la « naissance du Christ ».
monstra te esse matrem
L’italien Jacques de Voragine, au XIIIe siècle, le souligne encore, dans sa "Légende dorée" :
« Et, depuis lors, il acquit une compétence spéciale dans tout ce qui touchait à la nativité du Christ, ce qui lui permit de parler mieux que personne de la Vierge et de l’Enfant et d’expliquer le récit évangélique relatif à l’Annonciation ».
La Nativité fut, plus tard, dans les sermons de Bernard, un thème privilégié ; et, même si l'œuvre de Bernard sur la Vierge est restreinte, les quelques pages qu'il n a laissé sont si débordantes de ferveur qu'elles ont fait considérer le saint comme un "docteur marial".
Et maintenant évoquons le « miracle de la lactation de saint Bernard »
D’où vient cette légende, qui n’est ni dans les « vitae », ni « la légende dorée » ???
Le thème de la lactation mariale est relaté d’abord par le cistercien Césaire de Heisterbach, au début du XIIIe siècle ; il en fait mention dans ses « huit livres de miracles » ; il parle d’un abbé de Clairvaux de la fin du XIIe, ignare dans la science de l’écriture, mais plein de bonté ; le pape lui envoya une lettre lui enjoignant de prêcher la croisade, il fut alors très inquiet ; il entra dans l’église, alla prier et implorer la Vierge ; elle l’appela et lui tendit ses seins afin qu’il les suce.
- Ensuite, Etienne de Bourbon rédigea, au milieu du XIIIe siècle, un « traité des diverses manières à prêcher », où il parle là de la lactation par la Vierge d’un religieux anonyme.
Ci nous dit :
Et puis, au début du XIVe siècle, parut un livre d’instruction chrétienne, appelé le : « Ci nous dit ». Il y a 8 chapitres sur saint Bernard ; mais là, c’est après son entrée à Cîteaux que l’abbé Etienne Harding aurait demandé à Bernard d’aller prêcher devant l’évêque de Châlons-sur-Marne. Bernard ne put se dérober ; il alla prier et s’endormit. « Et Notre Dame mit sa sainte mamelle dans sa bouche et lui enseigna la divine science. Et désormais, il fut l’un des prédicateurs les plus subtils de son temps et prêcha devant l’évêque. L’abbé l’envoya alors à Clairvaux… ».
Passons donc maintenant au miracle de la vision de la naissance du Christ, au miracle de la lactation représenté par cette gravure :
- Ce miracle de la lactation, on va le retrouver également en peinture : la plus ancienne représentation de la « lactation » de saint Bernard se trouve en Espagne, peinte, vers 1290, sur un retable de l’église des templiers de Majorque (Baléares):
Ensuite, ce miracle de la lactation va se répandre à partir du XVe siècle au-delà des Pyrénées ; et la lactation va devenir alors véritablement le miracle caractéristique de saint Bernard.
On va le trouver en miniature :
en vitrail (Vézelise, XVIe siècle ; Chaumont, XIXe siècle) :
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en peinture :
Jean Beugier alias le Maître des Portraits princiers, Lactation de Saint Bernard, fin XVe-début XVIe siècle, Cassel, musée de Flandre, dépôt de l'abbaye Sainte-Marie du Mont-des-Cats de Godewaersvelde) ;
Par l'école flamande, musée de Liège :
A Hautecombe l'enfant a disparu...
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Le thème sera repris aussi plus tard par les peintres de la Contre-Réforme et les peintres baroques.
Alonzo Cano (espagnol 1601-1667)
Josefa de Obidos (une espagnole, d’origine portugaise (1630-1684)
Finalement, à la suite de « contaminations » successives, ce récit va se greffer à Châtillon, où il trouvait là un terrain favorable.
Il y eut d’abord une lettre concédant 40 jours d’indulgence, qui avait été octroyée à Avignon en 1340, par 5 évêques, pour les fidèles qui visiteraient l’église Saint-Vorles, en raison du miracle dont l’église avait été le théâtre.
Mais comme cet acte originel disparut dans l’incendie de Châtillon en 1475, le chanoine curé de Saint-Vorles demanda, en 1490, un « vidimus » (c’est-à-dire une copie certifiée authentique), qui fut octroyé par l’abbé de Vaux-la-Douce (Haute Marne).
Première page de l'Histoire Sainte du Père Legrand :
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Et ensuite un châtillonnais, le père Etienne Legrand, fixa le canon du miracle de la lactation à Châtillon dans son livre paru en 1651 ; il écrit :
« …Il se trouve en l’église de Saint-Vorles de Châtillon une certaine image très ancienne de la bienheureuse Vierge Marie … laquelle présenta miraculeusement son fils à saint Bernard …lui disant « Bernard, reçois mon fils, le sauveur du monde … … et l’image porta la main à sa mamelle et fit distiller sur-le-champ trois gouttes de son lait dans la bouche ouverte de ce saint… ».
Le père Legrand parle d’une image de la Vierge , puisqu’on va aussi accréditer que ce miracle s’est passé devant la statue de la Vierge, statue conservée dans l’église Saint-Vorles, dans une niche de la chapelle inférieure ; celle-ci, dès le XVe siècle, s’appellera « chapelle de Monsieur saint Bernard ».
Chapelle Saint-Bernard :
peinture murale disparue:
C’est cette statue, et non la Vierge elle-même, qui s’anima lors du miracle.
Malheureusement, à la Révolution, malgré une patrouille de 24 personnes, la statue fut prise et brûlée.
Mais une statue de Vierge, correspondant parfaitement à la description du père Legrand, fut retrouvée dans une maison châtillonnaise ; elle s’adaptait à la niche de l’église Saint-Vorles ; la statue fut alors remise solennellement dans la niche en 1927.
La statue de la Vierge :