
La "Compagnie des Gens", la célèbre troupe basée à Châtillon sur Seine, nous offre actuellement un spectacle intitulé "Méchantes langues, ou les délices de la polémique", un exercice littéraire et musical, sur l'art du pamphlet, avec beaucoup d'humour et...de mauvaise foi jubilatoire.
C'est dans la nouvelle salle Kiki de Montparnasse, esplanade Saint Vorles qu'une bibliothécaire, Marie-Thérèse, a proposé aux spectateurs, très intéressés, une conférence sur l'homme illustre dont s'enorgueillit, à juste titre, notre ville de Châtillon sur Seine, Désiré Nisard.

Une conférence très attendue, tellement le personnage est exceptionnel, qui a été rythmée par les accords du trio de contrebasses Cargo.

La conférencière, Joséphine Delalande, passionnée par cet écrivain hors du commun, nous rappela qui était Désiré Nisard, quels furent ses célèbres ouvrages, elle évoqua son élection extraordinaire à l'Académie Française..
Elle en fit une description enflammée... près de la peinture de cet illustrissime personnage, enfant de notre bonne ville de Châtillon sur Seine, représenté en habit vert d'Académicien...

Mais au milieu du merveilleux portrait du sublime Nisard, que la conférencière nous brossait, une voix discordante s'éleva dans le public, à la grande stupéfaction des auditeurs...

Non, non, et non, cria un spectateur outré, Jean-Marie-Napoléon-Désiré Nisard n'était pas, madame, l'homme que vous croyez ! d'abord a-t-on idée de s'appeler Jean-Marie-Napoléon Désiré !!
Le contradicteur virulent nous présenta Désiré Nisard sous un autre jour, beaucoup moins flatteur que celui brossé par Joséphine Delalande..
"Ce mouflet pénible et geignard, ce vilain petit canard, bon élève à défaut d'imagination, néanmoins pourvu de la phénoménale mémoire des simples d'esprits, dont le cerveau est cousin de la mousse ou de l'éponge...Toutes qualités utiles pour finir empaillé à l'académie..."

Nisard , continua le fâcheux, fut, en effet, un critique étroit, qui se permit de fustiger les romantiques, en particulier Victor Hugo et Alexandre Dumas, qualifiant leur oeuvre de "littérature facile" !!
Son livre "les poètes latins de la décadence" plut à Guizot qui lui fit obtenir des postes importants..il devint ainsi un des plus zélés partisans du pouvoir établi...
En effet, voilà un personnage dont la carrière politique ne fut faite que d'opportunisme. : monarchiste pour commencer, républicain quand il l’a fallu, bonapartiste à l’avènement de Napoléon III, sous le règne duquel il obtint hautes fonctions et distinctions.
Jean-Marie-Napoléon-Désiré Nisard, peu de temps après avoir été élu Académicien, exposa sa théorie des "deux morales", distinguant ainsi la morale ordinaire, régissant les actions des simples particuliers, et celle , plus large, applicable seulement aux princes, qui peuvent violer leurs serments, emprunter des millions sans les rendre etc...
Et, madame, vous tressez des couronnes à cet archétype du critique réactionnaire, borné et partial ?

Les musiciens du trio de contrebasses Cargo, enfoncèrent le clou en citant de nombreux faits divers honteux impliquant le sinistre Nisard ....
(tous plus farfelus les uns que les autres, car se passant à notre époque....)




C'en était trop, Désiré Nisard était tombé bien bas dans l'estime des auditeurs présents
...
Mais voilà, oh prodige !, que notre illustre châtillonnais, sortant de son tableau, se matérialisa devant les spectateurs, médusés....


Désiré Nisard, en personne, vint rétablir "sa" ...vérité, enfin, ce qu'il voulut bien en confier, tout à son avantage, bien évidemment....




Parlez moi donc de la littérature du XXIème siècle, demanda Jean-Marie-Napoléon-Désiré, qui avait toujours pensé que rien n'avait été écrit de bon depuis le XVIIème ..
On lui lut alors des passages de livres de Florian Zeller et de Christine Angot...(la fille de Madame Angot ?, demanda l'académicien...
)

( Les extraits de ces livres nous ont laissés d'ailleurs bien circonspects sur la valeur de la littérature actuelle...
)

Désiré Nisard donna, en aparté, un coup de téléphone !!!

Que faisiez vous donc à l'Académie Française ? lui demanda Joséphine Eh bien, nous étudiions les mots de notre belle langue française répondit Nisard .

Alors, avec un porte-voix, il égréna les lettres de l'alphabet...

Les lettres de l'alphabet furent illustrées par des citations de Pierre Desproges, Eric Chevillard, Pierre Jourde, Eric Naulleau, Philippe Muray, Michel Audiard, Grand Corps malade , Georges Perros, citations énoncées par des personnages aux nez de clowns...
(Fous rires garantis dans la salle...
)


Mais voici qu'apparut un autre personnage, pamphlétaire de valeur, mais d'une grande férocité, Léon Bloy.


Léon Bloy, critique de l'oeuvre d'Emile Zola, de la bourgeoisie... sa description de l'incendie du Bazar de la charité fit grincer bien des dents...

Les "pro Nisard" et les "contre Nisard" finirent par s'écharper dans une bagarre échevelée...


Mais tout est bien qui finit bien, tout ce beau monde se réconcilia avec panache, et Joséphine convia les spectateurs à un "pot" amical de crémant..(mais en restait-il il ? il paraît que Désiré avait finalement sifflé en douce de nombreuses bouteilles !)...

Nous nous en sommes d'ailleurs aperçus puisque l'illustre académicien châtillonnais nous gratifia d'un rot retentissant !!
La troupe de la Compagnie des Gens fut très applaudie , nous avons beaucoup ri...
Il reste deux représentations tout public de "Méchantes langues ou les délices de la polémique", les vendredi 21 novembre et samedi 22 novembre 20h30, ne les ratez pas, c'est un véritable régal !


Provoquer, chatouiller, titiller la curiosité du public autour de l'art du pamphlet, c'est ce à quoi les comédiens et musiciens de "Méchantes langues", animés d'une cruauté inhabituelle, d'une bonne dose d'humour noir et d'un petit brin de folie dévastateur, se sont employés, dans le cadre de ce nouvel opus construit sous le patronage des stylistes de haut vol, tous contempteurs farouches et flamboyants de la tiédeur, du consensus mou et des idées reçues.
Bravo la Compagnie des Gens, et merci pour ce moment de pur plaisir pétillant, qui a réchauffé les esprits et les corps en ce mois de novembre...
Les comédiens : Michel Auguste (Léon Bloy) Elisabeth Hoornaert ( Joséphine Delalande), Sabine Lecoq (Marie-Thérèse), Patrick Pompon (Désiré Nisard),Jacques Senelet (le contradicteur)
Les musiciens du trio de contrebasses Cargo : Marc Clément, Benoît Jayot, Eléonore Rossye.
La régisseuse : Elisabeth Petetin
Les auteurs invités : Désiré Nisard, Eric Chevillard, Pierre Desproges, Pierre Jourde, Eric Naulleau, Charb, Philippe Muray, Grand Corps Malade, Léon Bloy, Michel Audiard...
L'affiche était de Gwenola Guyot