"L'église Saint-Marcel de Vix", une étude approfondie de l'édifice par l'historien Dominique Masson
Notule de Dominique Masson
L'église Saint-Marcel de Vix
(Première partie)
Nombreux sont les visiteurs à se rendre sur la colline de Vix et à faire le tour de l’église dédiée à Saint Marcel.
Figure 1 : buste reliquaire de saint Marcel (saint Marceau autrefois)
De prime abord, celle-ci semble avoir une grande unité, avec son toit en laves. Mais, en y regardant de plus près, la construction de cet édifice semble avoir été assez complexe.
Les archives permettent, depuis la fin du XVIIe siècle, de suivre les réparations qui furent faites, afin de garder cette église aux paroissiens de Vix et d’Étrochey.[i]
Figure 2 : Plan de l'église Saint-Marcel de Vix
Figure 3 :L'église, façade sud avec son toit en laves.
NEF ET BAS-CÔTÉS
La partie centrale, la nef, présente les caractéristiques du style roman du début du XIIe siècle. Elle est constituée aujourd’hui de trois travées (plus une quatrième), se prolongeant au nord et au sud par des bas-côtés.
Figure 4 : La nef
La voûte est en berceau brisé, soutenu par des arcs doubleaux, reposants sur des chapiteaux trapézoïdaux,nus; le tailloir se poursuit en imposte entre les travées et court d’un chapiteau à l’autre, délimitant la partie des murs droits et la voûte.
Les pilastres, en prolongement du chapiteau et sous une moulure, se terminent par un culot en encorbellement.
Les pierres de ces arcs doubleaux sont en pierre foncée, intercalées de temps en temps avec des pierres plus blanches, rappelant les arcs de Vézelay.
Les piliers, carrés, d’environ 0,74 m de côté, reposent sur un piedestal chanfreiné.
Figure 5 :Détail de la retombée d'un arc doubleau de la nef centrale
Figure 6 : Base des piliers de la nef
La communication avec les bas-côtés se fait par des arcs brisés, avec des pierres blanches ou foncées, et reposant sur une imposte moulurée.
Ces trois premières ouvertures correspondant aux trois premières travées ont une largeur d’environ 1,94 mètre.
Figure 7 : Arc brisé faisant communication de la nef avec le bas-côté (côté sud)
Les bas-côtés sont voûtés en arêtes ; chaque travée est scandée par des arcs doubleaux brisés.
Chaque dosseret contre les murs gouttereaux (assez plat : 0,47 cm X 0,35 cm) est séparé de la voûte par une imposte (ou tailloir) moulurée et, côté nef, l’imposte fait suite à celle au-dessus des piliers de communication avec les bas-côtés ; il en est de même dans la partie inférieure des piliers, où le piédestal, chanfreiné, fait suite à celui des piliers de communication ; une moulure se trouve également au pied de chaque dosseret.
Il est à remarquer que, à l’ouest, les impostes semblent se prolonger sur une quatrième travée de la nef, disparue aujourd’hui.
Mais il y a des différences sensibles entre le bas-côté nord et le sud.
Dans les piliers séparant le bas-côté sud de la nef, se trouve un certain nombre de fragments de sarcophages mérovingiens, sciés et réemployés[i].
Figures 8 et 9 : Cuves de sarcophages sciées et réemployées
Le mur gouttereau, au sud, est épais d’environ 0,93 m et est percé de deux fenêtres et d’une petite porte.
La fenêtre de la première travée est fort étroite (0,72 m X 0,19 m), allant en s’évasant à l’intérieur, en forme d’archère.
La deuxième fenêtre est aussi étroite, mais un peu plus évasée à l’intérieur.
L’épaisseur du mur de ce côté est d’environ 0,93 m.
Figure 10 : Fenêtre dans la première travée sud
Extérieurement, l’ouverture des fenêtres est taillée dans un seul bloc de pierre.
Figure 11 : Fenêtre du bas-côté sud en forme de meurtrière, vue extérieure
Quant aux contreforts, ils sont assez plats (0,73 cm X 32-37 cm[i]) et les deux premiers contreforts n’ont pas de base.
Entre chaque, se trouvent trois modillons sous la corniche en pierre, ou plutôt des corbelets, correspondant à chaque travée, et seulement décorés, pour certains, d’un trait en creux horizontal.
Figure 12 : Façade sud de l'église avec ses contreforts et ses corbelets
Mais, dans le bas-côté nord, l’épaisseur du mur est moindre (la profondeur de chaque fenêtre est d’environ 60 cm).
Les piliers ne semblent pas contenir des morceaux de sarcophages et le piédestal est souvent en oblique renversé, non chanfreiné.
Quant aux trois fenêtres, elles ont une ouverture plus large et plus régulière (environ 0,76 cm X 1,00 m), plusieurs pierres étant layées.
Figure 13 : Fenêtre du bas-côté nord, face interne
Figure 14 : Fenêtre du bas-côté nord, face externe
Extérieurement, les contreforts sont au nombre de quatre, reposant sur d’épaisses bases ; ils sont beaucoup moins plats (0,96 m X 0,75 m d’épaisseur) qu’au sud et il y n’y a que deux modillons ou corbelets entre chacun.
Figure 15 : bas-côté nord de l'église
S’il y a une différence entre le bas-côté nord et le bas-côté sud, c’est qu’autrefois, l’église eut besoin de grosses réparations.
Déjà, en 1746, pour prévenir la ruine dont cette église est menacée et comme Monsieur l’archidiacre, lors de sa visite, leur ayant déclaré de la part de Monseigneur l’évêque de Langres qu’on interdirait incessamment l’église … s’ils ne faisaient leur diligence pour faire faire les réparations urgentes, un devis fut établi par Forgeot, entrepreneur à Langres. Les réparations excédaient 1600 £, mais ne pouvaient être différées.
Le mur pignon, à l’ouest, fut relevé à neuf. Les habitants de Vix s’adressèrent à l’intendant de Paris, tandis que ceux d’Étrochey suppliaient celui de Bourgogne[i].
Mais, en 1750, il y eut urgence, car l’église paroissiale est dans un dépérissement si considérable que M. l’évêque de Langres a prononcé l’interdit si, dans trois mois, il n’était pourvu aux réparations nécessaires que l’on estime être de valeur de plus de trois mil livres.
Le problème, c’était que cette église dépendait de plusieurs communautés, qui ne s’entendaient pas toujours.
D’un côté, il y avait le transept et le chœur qui étaient à la charge des gros décimateurs ; or, les religieux de l’abbaye de Molesme possédaient 1/6e des dîmes de la paroisse d’Étrochey et l’abbé de Pothières en possédait le reste et toutes les dîmes de Vix.
Et, de l’autre, la nef et le clocher étaient, jusqu’à la Révolution, à la charge des habitants, c’est-à-dire ceux de Vix et ceux d’Étrochey.
En 1750, il fut constaté que les hautes voûtes de la nef, les piliers et les basses voûtes au nord menacent d’une chute prochaine, mais cette ruine n’est pas occasionnée , comme il est dit au mémoire ci-joint, par la défectuosité des fondements des piliers butant des collatéraux au nord, mais de leur peu d’épaisseur, incapable de résister à la poussée des voûtes; le pignon qui a souffert en plusieurs parties de l’écartement des gouttereaux est corrompu, et hors d’état de subsister; il n’est pas possible de réparer utilement la grande voûte en carreau et la basse voûte d’arrêt au nord, que par une nouvelle construction; on a trop tardé à réparer le mal, et il est trop considérable maintenant pour en être susceptible, puisque non seulement les piliers sont considérablement surplombés, mais qu’il y a partie de leurs pierres de taille et des bases qui sont partagées et éclatées; il est donc nécessaire de découvrir totalement la nef, de démolir les susdits six bonnets de voûtes depuis le clocher jusqu’au susdit pignon; les piliers des susdites, les murs gouttereaux d’icelles, et leurs piliers butant.Le mur gouttereau au nord sera repris sur le retrait à rais de terre, et reconstruit de sa même hauteur et épaisseur, avec bons moellons d’échantillon, posés par assises, en bonnes liaisons, mortier de chaux et sable de rivière…Il sera donné aux trois piliers butant, qui n’avaient qu’un pied de flanc[ii], au-dessus de la dernière retraite à rais de terre, trois pieds de flanc, et la largeur en face des anciens; pour ce, il faudra d’autant augmenter le fondement desdits piliers, qui seront établis sur le solide, avec empâtement, retraite sur toutes faces, et bonnes liaisons avec les anciens fondements; lesdits piliers seront repris sur la susdite dernière retraite à rais de terre(selon le devis établi le 7 mai 1750).Et, de plus, le village de Vix était en Champagne et le village d’Étrochey, en Bourgogne, c’est-à-dire que les habitants de Vix devaient s’adresser à l’intendant de Paris, Louis-Jean Bertier de Sauvigny à l’époque, et les habitants d’Étrochey s’adressaient à l’intendant de Bourgogne, Jean-François Joly de Fleury de la Valette[iii].
Figure 16 : Carte de la province de Bourgogne de Guillaume Delisle (détail) "Visse" est en Champagne comme Saint-Marceau, "Estrocher" est en Bourgogne.
Après concertation avec les habitants d’Étrochey, les habitants de Vix convinrent de la nécessité des réparations, prirent une délibération le 7 décembre 1749 et adressèrent une requête à l’intendant de Paris lequel, le 16 mars 1750, missionna le sieur Gardet, qui établit son devis le 7 mai.
Pour lui, les réparations du sanctuaire, du chœur et des chapelles, à la charge des gros décimateurs, s’élevaient à 650 £ (articles 1 à 5), et les réparations de la nef et du clocher, à la charge des habitants, s’élevait à 2587 £(articles 6 à 11).
L’évêque de Langres voulut qu’au lieu de suivre le devis, on démolit l’église entièrement et qu’on la rebâtit dans le bas de la Montagne où elle serait moins sujette aux vents et plus à portée des deux paroisses mais, finalement, abandonna cette idée.
Et, les deux intendants s’étant mis d’accord, il fut décidé de mettre en adjudication au rabais seulement ce qui concernait la partie à la charge des habitants.
Elle eut lieu le 7 mai 1751 et fut enlevée parRobert Charinet, entrepreneur de bâtiments à Châtillon, pour 1822 £[i].
Figure 17 : Requête des habitants de Vix auprès de l'intendant de Paris ADCO,C 2007
Les voûtes du bas-côté nord furent entièrement refaites :
On posera ses arcs doubleaux en bonne taille et coupes et selon les dimensions des anciens, et les voûtes en berceaux seront construites à même hauteur que les anciennes, avec bon pendants piqués aussi à la pointe au marteau, posées en bonne coupe et liaison, avec bon mortier de chaux et sable de rivière. Sur des cintres en planches de force, exactement chantournés, lesdites voûtes auront au moins neuf à dix pouces d’épaisseur à leurs couronnements, leurs reins seront garnis en bonne maçonnerie jusqu’à la hauteur et selon la rampe du couvert, sous lequel sera aussi continué en même maçonnerie les murs des pieds droits desdites voûtes.
Mais il n’y avait pas que les bas-côtés à réparer, le mur pignon de la nef était également en très mauvais état.
Il semble que l’on avait déjà essayé de le réparer :le pilier fait nouvellement sur l’angle et mal fondé sera aussi démoli, fondé sur le solide et construit comme les précédents. Quant au mur pignon, il sera démoli de deux pieds au-dessous du rais de terre de son angle au nord, repris et élevé en bonne maçonnerie comme dessus dit, de sa même hauteur et épaisseur, sans retraite par le haut, mais seulement fruit de dix-huit lignes par toises au-dehors d’œuvre; ses angles seront montés en tailles, à quoi on emploiera l’ancienne trouvée deservice…La porte sera placée au dit pignon, vis-à-vis le milieu de la nef, et comme le peu de taille dont elle était formée est calciné et en très mauvais état, elle sera formée de pieds droits, lancis[i], écoinçons et claveaux de pierre de taille neuve, non gélive … La porte sera fermée d’une porte à deux battants en menuiserie, bois de chêne d’un pouce au moins, doublée de mêmes planches arrêtés avec clous de force posés en losange de trois pouces de distance … Au-dessus de la dite porte, il y sera observé, au lieu de deux petits vitraux qui s’y trouvent, un vitrail de deux pieds et demi de largeur entre deux tableaux, et de six pieds de hauteur, sous bombement.
Ce nouveau mur pignon fut accolé plus ou moins adroitement à l’arc doubleau de la nef.
Figure 18 : La liaison entre la nef et le mur pignon de façade
Figure 19 : Porte principale surmontée d'un vitrail
Pour la petite porte, au sud, il lui sera posé sur le cimetière deux cours de marches d’une pièce… il sera élevé sur le bout et ses deux marches deux petits murs de soutènement à la hauteur des terres pour les contenir, avec moellon, chaux et sable de rivière. La porte en menuiserie, qui a trois pieds deux pouces sur six pieds, est pourrie, usée et vétuste; il en faudra faire une neuve, en chêne, doublée et clouée comme la grande porte. Comme cette porte se trouve de deux pieds plus basse que le rez-de-terre du cimetière, et que les pluies qui l’endommagent passent dans l’église, pour les prévenir, il sera fait un chapiteau au-devant de ladite porte de six pieds de largeur, douze pieds de longueur, six pieds d’hauteur sous sablière. Deux poteaux furent établis en avant, couverts de laves en prolongement de la toiture de l’église, avec une chanlatte recevant les eaux pluviales.
LA QUATRIÈME TRAVÉE
Cette quatrième travée de l’église Saint Marcel est différente du reste de la nef.
Si la partie centrale est aussi voutée en arc brisé (la retombée de voûte étant un peu décalée en retrait par rapport au mur droit en-dessous), la voûte est surbaissée par rapport à celle du reste de la nef et repose sur quatre pilastres qui, s’ils ont la même largeur que les précédents, débordent sur l’espace de la nef, de façon variable (de 0,32 cm à 0,50 cm).
Ces pilastres soutenant la voute descendent jusqu’au sol; seul, un tailloir marque la limite entre la partie droite et la partie voûtée, mais il est différent sur l’arc doubleau ouest et celui à l’est.
D’autre part, ces deux piliers ouest ont un piédestal plus ouvragé, avec gorge et boudin (cette forme se retrouve également extérieurement sur le piédestal du 4e contrefort sud), tandis que les deux piliers à l’est, soutenant l’arc brisé (qui n’est fait que de pierres de couleur, sauf le claveau) faisant communiquer aujourd’hui la nef et le transept, n’ont pas de piédestal et l’imposte est chanfreinée.
Figure 20 : Piédestal d'un pilastre ouest de la quatrième travée
Figure 21 :Imposte d'un pilier ouest de la quatrième travée
Figure 22 : Imposte d'un pilier est de la quatrième travée
Des différences se remarquent également dans les bas-côtés.
La communication entre nef et bas-côtés se fait par des arcs brisés. Ceux-ci ne reposent pas sur des pilastres, mais leur courbure démarre à environ 1,78 cm du solet aucune imposte ne souligne le départ de la voûte ; ces piliers massifs (environ 0, 98 cm) ont une ouverture de la travée plus large (environ 2,20m contre 1,94m) et, dans la partie supérieure, pénètrent largement dans la partie voûtée du bas-côté).
Dans ces piliers, on trouve quelques morceaux sciés de sarcophages.
Figure 23 : Voûte pénétrante entre la nef dans le bas-côté sud
C’est dans cette partie que l’on trouve, encastrés dans les piliers Est de cette quatrième travée, à la jonction entre la nef et les bas-côtés, deux autels en pierre, avec leurs quatre croix de consécration[i].
Car cette travée correspond aujourd’hui à l’implantation du clocher, mais elle pourrait avoir été autrefois le transept de l’église.
Figure 24 :Autel secondaire en pierre (côté sud), avec les croix de consécration à chaque angle.
La voûte des bas-côtés de cette travée est également différente de celle des trois premières travées, car elle est quasiment en berceau et parallèle à la nef.
Contre les murs gouttereaux, court tout le long une imposte, délimitant la partie droite du mur de l’amorce de la voûte et en prolongement de celle au-dessus du pilastre, mais elle s’arrête subitement peu avant le transept.
Dans le mur sud, on trouve une piscine double.
Figure 25 : Imposte contre le mur gouttereau du collatéral dans la quatrième travée
Extérieurement, la corniche courant sous le rampant nord du toit fait un décrochement, contre la tourelle.
Figure 26 : Décrochement de la corniche à l'emplacement de la quatrième travée.
[i] Pour mademoiselle Françoise Vignier, archiviste, ces autels latéraux seraient des fondations de laïcs, et sont rarement conservés
[i] Lancis : Opération par laquelle on répare un mur dégradé, en enfonçant, le plus avant que l'on peut, des moellons ou des pierres dans les parties refouillées.
[i] Il fallait payer en outre 45 £ 11 sols pour frais de recouvrement. Ainsi la somme de 1867 £ 11 sols devait être imposée « sur tous les habitants et propriétaires de biens et héritages, lesquels habitants et propriétaires exempts et non exempts, privilégiés et non privilégiés, contribueront à proportion de ce que chacun d’eux possède… suivant le rôle qui sera dressé… ». ADCO, C 2007
[i] L’intendant de la généralité de Paris était Louis Jean Bertier de Sauvigny. C’est le subdélégué de Tonnerre, Jean Nicolas Girardin, qui était chargé du contrôle.
[ii] Le pied du roi équivalait à 32,48 cm
[iii] « … qu’il plaise à M. De Joly de se concilier sur çà avec M. de Fleury pour être incessamment procédé à ladite visite et devis estimatif ». ADCO, C 2007
[i] Le premier contrefort est pris dans la maçonnerie de la façade et est beaucoup plus large[i] Les dosserets, adossés aux piles centrales, font environ 35 cm X 47 cm. Des morceaux de sarcophages se trouvent également aux arêtes de la tour du clocher. La récupération des sarcophages, par exemple, s’est aussi faite dans l’église de L’Isle-Aumont (Aube).
[i] L’église est à peu près orientée, plutôt légèrement nord-est. Altitude de l’église : 307 mètres
NB : quatre autres articles sur l'église Saint-Marcel de Vix suivront les semaines prochaines